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lundi 20 octobre 2014

#Le Devoir


Patrimoine génétique - Du sang allemand chez des Québécois
Le mouvement migratoire le plus consistant fut celui des mercenaires allemands enrôlés dans l’armée britannique venue étouffer les velléités indépendantistes des futurs citoyens des États-Unis d’Amérique

8 février 2011 22h38 |Pauline Gravel | Science et technologie
Maints Québécois francophones ont à leur insu du sang allemand dans leurs veines. Leur patronyme à consonance saxonne a souvent été francisé ou a disparu en raison d’une descendance uniquement féminine. Qui plus est, pendant longtemps, il était tabou d’afficher ses origines alémaniques au Québec. Quoi qu’il en soit, ce dernier a bel et bien connu une importante immigration germanique aux XVIIe et XVIIIe siècles. Et la contribution de ces nouveaux venus au patrimoine génétique des Canadiens français est loin d’être négligeable.

Voilà les conclusions auxquelles en est arrivé le Dr Christian Allen Drouin, dermatologue au Centre hospitalier du Grand-Portage de Rivière-du-Loup, dans ses recherches visant à identifier l’ancêtre qui aurait introduit au Québec le gène du syndrome de Rothmund-Thomson, une maladie génétique qui se caractérise par des lésions cutanées, des cataractes précoces ainsi que des malformations osseuses, qui dégénèrent fréquemment en cancer des os dès l’enfance.

«En dressant les arbres généalogiques de nos patients issus de la région de Kamouraska–Rivière-du Loup–Témiscouata–Les Basques, on s’est aperçu qu’il y avait beaucoup plus d’Allemands que nous l’imaginions dans les lignées de ces Québécois francophones », a déclaré le Dr Drouin dans le cadre du 71e congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), qui s’est terminé le week-end dernier à Rimouski.

Que les ancêtres allemands soient légion dans les ascendances de plusieurs Québécois s’explique par les quatre vagues d’immigration germanique qu’a connues le Québec au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Des dizaines d’Européens germanophones, — Allemands, Flamands, Hollandais, Autrichiens, Suisses alémaniques, Alsaciens et Lorrains — ont gagné la Nouvelle-France entre 1621 et 1749, a raconté le médecin féru d’histoire. Parmi eux figuraient l’Autrichien Johan Deigne (1686) qui a donné naissance à la famille Daigle, Hans Bernhard (1680) dont le patronyme a été transformé en Bernard, et Jean-Marc Bouliane provenant de Bâle, en Suisse.

À ces immigrants libres se sont joints des Allemands acadiens qui ont suivi leur épouse lors du Grand Dérangement de 1755. Soldats des régiments étrangers (intégrés à l’armée française) postés à la forteresse de Louisbourg pour la plupart, ces Allemands avaient épousé des Acadiennes qui ont fui au Québec (notamment dans la région de Saint-Gervais-de-Bellechasse) pour échapper à la déportation. 

Ensuite, de 1756 à 1763, des soldats germaniques engagés dans les régiments étrangers de l’armée française, puis de l’armée anglaise, ont finalement élu domicile en terre québécoise. Et ce, sans oublier les commerçants juifs allemands qui accompagnaient les effectifs de l’armée anglaise.

Mais le mouvement migratoire le plus consistant fut sans contredit celui des mercenaires allemands enrôlés dans l’armée britannique venue étouffer les velléités indépendantistes des futurs citoyens des États-Unis d’Amérique. « Comme nombre de Britanniques ne voulaient pas aller combattre leurs frères anglais en Amérique, le roi George III, monarque du Royaume-Uni et de Hanovre (en Allemagne), a demandé à ses cousins et amis des duchés et principautés (de l’Allemagne d’aujourd’hui) de lui fournir des soldats, a précisé Christian Drouin. 

Entre 7000 et 10 000 mercenaires allemands ont séjourné au Québec durant la guerre d’Indépendance des États-Unis, qui a duré de 1776 à 1783. Parmi eux, plusieurs étaient cantonnés à Lotbinière, Sorel et Québec pour protéger le Bas-Canada de toute invasion des Américains indépendantistes. Maîtrisant le français, plusieurs de ces soldats allemands se sont liés aux habitants de ces régions. La tradition de l’arbre de Noël fut justement introduite au Québec par l’un de ces militaires, le major général von Riedesel, des troupes de Brunswick, et son épouse. »

De cette dizaine de milliers de soldats germaniques dépêchés en Amérique, nombre d’entre eux sont tombés au combat, et d’autres sont rentrés en Europe. Néanmoins, 2500 sont restés au Canada, dont 1300 à 1400 au Québec, pour la plupart dans la région du Bas-Saint-Laurent, où ils ont presque tous marié des Canadiennes françaises

Dans le Québec de 1783, 7 % de la population mâle en âge de procréer était d’origine alémanique, a précisé le chercheur.
Ajoutés aux quelque 100 à 200 immigrants libres, Allemands acadiens et soldats de l’armée française arrivés avant 1760, ces 1400 mercenaires germaniques comptent pour près de 10 % des ancêtres fondateurs des Québécois francophones avant 1783, a indiqué le scientifique. « On compte à cette époque quelque 1500 ancêtres fondateurs d’origine allemande sur un total de 13 200, comprenant, outre ces 1500 Germaniques, 10 000 Français, 1500 Acadiens et 300 Britanniques mariés, voire assimilés à des Canadiens français. La composante germanique est donc aussi importante que celle des Acadiens. »

Comment se fait-il qu’une telle contribution migratoire au pool génique québécois soit demeurée si peu connue ? « Durant les années 1850, alors qu’on glorifiait la race canadienne-française, et catholique, les descendants de ces immigrants allemands ont tu leurs origines allemandes, a relevé le Dr Drouin. Il était tabou de dire que l’on pouvait avoir des ancêtres allemands. Puis, les deux guerres mondiales, dont la deuxième qui fut marquée par l’horreur de l’Holocauste, n’ont fait que renforcer cette tendance. »

« Principalement de sexe masculin, les immigrants germaniques ont été assimilés en l’espace d’une génération en raison de leur mariage avec des Canadiennes françaises, a-t-il poursuivi. Plus de 50 % d’entre eux ont vu leur patronyme se modifier ou disparaître en raison d’une progéniture essentiellement féminine. »

«Plusieurs patronymes ont en effet été francisés [voir encadré] ou anglicisés. Comme les curés avaient du mal à orthographier correctement ces noms allemands lors des mariages, ils ont parfois voulu les rendre plus faciles à prononcer et les ont transcrits au son. »

Le Dr Drouin est persuadé que cette migration germanique, qui a ponctué l’histoire du Québec, a eu des effets significatifs sur le patrimoine génétique des habitants de Lotbinière. 

« Alors que la généticienne des populations, Évelyne Heyer, a mesuré des taux de consanguinité aussi élevés dans la région de Lotbinière que dans Charlevoix pour le milieu du XVIIIe siècle, il y a aujourd’hui très peu, voire aucune maladie génétique à Lotbinière, contrairement à ce qu’on observe dans Charlevoix, dit-il. Les immigrants allemands ont vraisemblablement contribué à la dilution du patrimoine génétique des Canadiens français dans la région de Lotbinière. Et à cela s’est probablement ajouté le fait que Lotbinière a longtemps été un important couloir de migration. »

Pour souligner l’ampleur de la présence germanique en terre québécoise, Christian Drouin rappelle par ailleurs qu’à la fin du XVIIIe siècle, plus de 20 % des médecins certifiés au Bas-Canada étaient d’origine germanique, dominant de loin les Canadiens français. Parmi ces médecins allemands, qui étaient souvent des officiers de l’armée de mèche avec les Anglais, figurent Daniel Arnoldi, qui fut le premier président de la corporation médicale canadienne, et Henri Pierre Loedel, qui fonda l’Hôpital général de Montréal et la faculté de médecine de l’Université McGill.

Christian Allen Drouin a maintenant l’intention de calculer plus précisément la contribution réelle de ces immigrants d’origine germanique au patrimoine génétique québécois. Car, même si le patronyme de plusieurs d’entre eux a disparu parce qu’ils n’auraient donné naissance qu’à des filles, les gènes, eux, ont continué de se propager par les mères.
***
Patronymes d’immigrants allemands qui ont été francisés au Québec
- Besserer : Besré
- Maher : Maheux
- Beyer : Payeur
- Schumpff : Jomphe
- Schenaille : Chenaille
- Goebell : Kable, Kaeble, Keable
- Numberger : Berger
- Pauzer : Pauzé
- Froebe : Frève
- Wolf : Leloup
- Amaringer : Maringer et Marenger
- Hartoung : Harton
- Heyberts : Hébert
- Dayme : Daigle
- Dahler : Dallaire
- Piuze : Piuze
- Quintal : Quintal
- Steben : Steben
Les patronymes français Dion et Gervais sont soit le résultat d’une transformation d’un nom allemand, affirme le Dr Christian Allen Drouin, soit des Huguenots français qui vivaient en Allemagne depuis plusieurs générations.


Études historiques et généalogiques
De cette vague migratoire toute militaire (1776-1783), il ne faut pas perdre de vue que certains ancêtres germains faisaient partie de l'armée britannique, et que ces derniers n'avaient aucun lien avec ceux connus sous le titre de Mercenaires allemands!

Voici quelques patronymes qui ont fait souche au Québec.

Bauer, Johann (44e régiment)
Bennagie, Peter (60e régiment)
Bode, Christoph (34e régiment)
Bolmann, Christoph (29e régiment)
Blum, Nicolaus (60e régiment)
Fiefer, Frederick (34e régiment)
Framber, Leonhard (34e régiment)
Friedenburg, Christoph (53e régiment)
Lang, Philipp (34e régiment)
Jorand, Johann (84e régiment) - Suisse alémanique
Kaufholtz, Johann Christof (34e régiment)
Krüger, Christoph (60e régiment)
Myers, Christoph (60e régiment)
Phippie, Philipp (53e régiment)
Schäffer, Frederick (53e régiment)
Sowler, Jacob (60e régiment)
Surewat, Peter (53e régiment)
Ruthmann, Christoph (29e régiment)
Wagner, Christoph (60e régiment)
Westermann, Thomas (60e régiment)
Wisehope, Jonas (44e régiment)
Zimpfer, Jakob (60e régiment)

Tous ces ancêtres germains ont vécu, pour la plupart, dans la ville de Québec et les alentours. Nous en retrouvons aussi beaucoup d'autres dans la région de Montréal, et de Laprairie. Il faut aussi noter que d'autres soldats allemands sont arrivés avec les régiments britanniques dans les années 1797 et 1800, en provenance des Iles britanniques. L'étude de ce patrimoine est passionnante et nous découvrons, par la recherche des documents authentiques, des anecdotes familiales des plus riches. Espérons qu'il y aura encore beaucoup de ces heureuses interventions scientifiques, historiques et démographiques.

Claude Kaufholtz-Couture
Directeur de l'Association des
familles d'origine germanique
du Québec, (l'AFOGQ)
Référence

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