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jeudi 23 octobre 2014

No 21


Mgr Ernest Lang, le pionnier

« Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ».
(Proverbe africain)

En 1922, Mgr Lang se lance dans une aventure qui, sans s’en douter, va susciter de l’intérêt et des discussions chez de nombreux autres membres de sa famille et dans la communauté. Il donne le coup d’envoi à une recherche sur les origines de sa famille : bref, il se lance dans le vide!

Mgr Lang s’attaque à une tâche colossale. Il est intrigué, non pas par une chose, mais par l’absence d’une chose. Il n’est pas confus non plus face à des informations contradictoires. Non! Il s’interroge plutôt quant à une carence d’information: il ne dispose encore d’aucun document qui lui indique une piste à suivre.

Il n’a pas de carte pour se guider : d’ailleurs, à quoi servirait une carte, puisqu’il n’y a pas de routes nulle part. Mais, il entend un bruit au loin, l’écho d’une tradition orale dont il nous parle dans les termes suivants…

« Il nous faut donc de toute nécessité avoir recours 
aux renseignements que nous ont transmis, 
de génération en génération, 
ses descendants par voie de tradition orale ».

Mgr Lang ne le sait pas encore, mais, en espérant trouver une histoire de vie toute faite, il va plutôt se buter à des contraintes coriaces qui vont mettre à l’épreuve sa détermination et son courage. Durant les 50 années suivantes, Mgr Lang va, contre vents et marées, tenir le coup et publier un document qui servira de rampe de lancement pour tous les autres qui oseront continuer son œuvre.

1. Que savait-il de Philip Long en 1922?

Vicaire à Saint-François de Madawaska, l’idée lui vient de chercher des documents reliés à ses ancêtres, en particulier Philip Long. À cette date, la réputation de Philip Long s’était rendue jusqu’à lui, puisqu’il a, maintes fois, maintenu qu’il existait une tradition orale qui dressait un croquis de cet ancêtre intrigant venu des Etats-Unis. Après tout, il s’était écoulé moins d’un siècle depuis le décès de Philip Long. 

Même si la tradition orale d’une famille peut être enjolivée, transformée ou amputée avec le temps, elle peut aussi véhiculer des faits d’une génération à l'autre. Cette tradition orale était d’autant plus importante pour Mgr Lang qu’elle circulait à une époque où la documentation écrite était clairsemée, sinon inexistante.

Mgr Lang a été catégorique : l’existence de Philip et de quelques aspects de sa vie étaient connus dans son entourage en 1920. Il l’a écrit. Donc, c’était une réalité connue au début du 20e siècle. Il a eu vent de cette tradition orale et il l’a transmise à son tour. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de cette tradition orale. 

Cette tradition orale semble n’avoir été connue, cependant, que par certains individus. Mon grand-père, Liguori Long, a toujours prétendu qu’il ne savait rien des origines de Philip Long. Pourtant, il a vécu à la même époque que Mgr Lang et il demeurait à quelques pas de sa famille. De toute évidence, il faut attendre de connaître les véritables origines de Philip avant de juger du bien fondé de cette tradition orale.

2. Une recherche documentaire

Pourquoi Mgr Lang ne s’est-il pas contenté de la tradition orale et pourquoi s’est-il lancé dans une recherche documentaire ? Mgr Lang savait qu’il devait trouver des preuves qui permettraient d’infirmer ou de confirmer chacun des aspects de cette soi-disant tradition orale. Que disait cette tradition orale lorsqu’il a débuté sa recherche ?

« Philip serait né en Écosse, de parents protestants, vers l’année 1757. Dans son jeune âge, il aurait émigré dans les États de la 
Nouvelle-Angleterre, demeurant à Philadelphie.
Philip avait 18 ans lorsqu’il a accompli un acte de bravoure sensationnel, un acte d’héroïsme (le vol d’un sac de malle) ».

Mgr Lang n’a pas lésiné sur la stratégie à adopter pour en savoir davantage sur les origines de Philip. Il a lancé une recherche de documents tous azimuts

Quelles étaient ses motivations et ses préoccupations à cette époque pour entreprendre une telle aventure ?

(1)                   Il a dû être insatisfait et perplexe devant cette tradition orale. Elle était incomplète et elle a pu lui sembler contradictoire à certains égards.

(2)                   Comme il était de foi catholique, il était sûrement interpellé par le fait que Philip était de foi protestante.

(3)                   Mgr Lang a dû être intrigué par le fait que, dans la même famille, certains portaient le nom de Long et d’autres le nom de Lang.

(4)                   Mgr Lang a dû être remué par le fait que Philip avait des liens militaires avec l’Angleterre qui avait mauvaise presse chez les Acadiens et les Franco-Québécois de son époque.

(5)                   Il a dû être conscient que les Loyalistes avaient déplacé les paisibles Acadiens de Ste Anne (Fredericton) qui n’ont eu d’autres choix que de s’établir plus au Nord dans la région du Madawaska.

(6)                   Il avait le sens du devoir, car il dit : «…je considère comme un devoir sacré de famille de faire connaître à ses descendants, la carrière exceptionnelle de cet homme remarquable ». Donc, s’il existait des attentes familiales pour éclaircir la tradition orale, il y avait des interrogations qui circulaient dans sa famille à ce sujet. Je suis convaincu que Mgr Lang était rongé par de sérieux doutes quant à l’ensemble de l’histoire personnelle de Philip.

(7)                   Il ne manquait pas non plus de fierté familiale. Malgré ce noble sentiment, il a sûrement voulu s’assurer qu’il y avait un fond de vérité à cette tradition orale qui faisait de Philip un individu remarquable, voire un héros.

(8)                   Il a dû savoir que cette aventure exigerait de lui du courage à toute épreuve. Mgr Lang savait dans son for intérieur qu’il était capable de supporter des frustrations et qu’il ne lancerait pas la serviette dès les premiers revers. Pour ma part, je suis davantage étonné par la force de son caractère que par ses écrits. Mgr Lang a écrit à propos d’un individu qu’il qualifiait de « héros », sans savoir que lui-même avait posé un geste d’aussi grande importance pour les générations suivantes.

Je n’ai pas vraiment connu Mgr Lang. Cependant, à travers son livre que j’ai lu à l’envers et à l’endroit, je crois être capable de me faire une bonne idée de sa personnalité et de son caractère. Curieusement, plus je feuillette ce livre, plus je m’émerveille devant autant de ténacité. Je viens de consacrer 50 jours à ma recherche, tandis que, lui, il a dédié 50 années à la sienne. Permettez-moi d’être estomaqué devant sa détermination.

3. Mi-fiction, mi-réalité

Mgr Lang a vite réalisé, en 1975, que sa documentation au sujet de Philip Long serait aride pour ses lectrices et ses lecteurs. Il a donc pris la décision d’envelopper ces documents dans un texte qui susciterait de l’intérêt. Il est évident qu’il avait un talent d’écrivain et de conteur. Sans fausser la nature de sa documentation, il a produit un texte mi-fictif et mi-réel à propos de Philip Long. Voici ce qu’il dit au début du premier chapitre de son livre.

« Ses nombreux descendants, tous originaires du Madawaska, tant américains que canadiens, ont entendu raconter, comme un conté de fées, le récit de ses merveilleux exploits, accomplis dans sa prime jeunesse. Ces belles histoires, enjolivées du parfum de légende, ont sans doute bercé leur enfance.

Par souci de vérité historique, je me fais un devoir de diviser mon travail en deux phases ou en deux parties bien distinctes :

a)   La première, tintée de légende, comportera la captivante histoire d’un acte de bravoure héroïque, d’un exploit de Philip, tel que transmis de génération en génération par la tradition orale de ses descendants.

b)   La seconde partie, non tinté de légende, comportera le récit de la vie de cet homme valeureux que fut Philip Long, avec des documents authentiques à l’appui ».

Mgr Lang nous met donc en garde dès le début de son livre contre des interprétations qui pourraient fausser notre perception de ses documents. Il savait fort bien faire la distinction entre la fiction et la réalité.

Mais, au fil du temps, nous avons mélangé les deux au point de ne plus savoir ce qui a caractérisé Philip et sa vie réelle. Vous savez tous que je doute, comme d’autres, de la véracité de cette tradition orale à la source de la recherche de Mgr Lang. D’ailleurs, si nous continuons cette recherche, c’est justement parce que nous la jugeons insatisfaisante.

Mgr Lang a émis une hypothèse de recherche qu’il n’a pas pu infirmer ou confirmer en bout de ligne. Il a été honnête : il savait ce que ses documents lui permettaient d’affirmer et ce qu’il ne pouvait prétendre tout autant. Il savait qu’il devait éviter de se mettre les pieds dans les plats!

Là où le bât blesse, c’est que des éléments de sa fiction ont fini par être considérés comme des faits appuyés de documents. Néanmoins, il aura réussi à susciter notre intérêt qui a persisté jusqu’à ce jour. Il est responsable de ses écrits, mais pas des racontars qui en ont découlés. Il n’est donc pas étonnant que j’apprécie celles et ceux qui ont fait le moindre effort pour mieux distinguer la vraie vie de Philip de la vie fictive qui a fini par prendre beaucoup de place dans nos discussions et nos travaux de recherche. Au fond, ce n’est pas la fin du monde qu’on ait enjolivé la vie de notre ancêtre!

4. Mgr Lang roule ses manches…..de soutane!

Ça y est, Mgr Lang lance sa recherche, en 1922. Voici comment il décrit ce point de départ.

« Oui, mais en sortant du domaine de la tradition orale, toujours intéressante sans doute, mais sujette à des variations nombreuses dans les récits des narrateurs, où trouver des documents écrits, authentiques, pour confirmer le récit oral du glorieux exploit de l’ancêtre valeureux, dans le présent cas ? ».

Mgr Lang savait s’émouvoir devant un document, surtout lorsque c’est le tout premier qu’il découvre se rapportant à son ancêtre. Voyez par vous-même.

« Or, voici qu’au début de mes recherches au sujet de la petite histoire de mon ancêtre, jaillit d’une manière tout à fait inattendue, une lueur d’espérance, un jalon au milieu de désert. Ce jalon, c’est la voie qui s’ouvre devant moi ».

Quiconque a consacré des énergies à cette recherche généalogique ne peut faire autrement que d’être ému de sa réaction devant la première preuve historique relative à Philip. Avec le temps, il fera de multiples autres découvertes, surtout lorsqu’il scrutera les fonts baptismaux de Saint-Basile.

Il a découvert dans le livre du Père Thomas Albert un paragraphe qui parle de la visite de Mgr Plessis de Québec au domicile de Philip et de Julie à leur ferme du Lac Témiscouata. Le secrétaire de Mgr Plessis fait mention d’un dénommé John Lang au lieu de Philip Long qui vit à cet endroit. Mgr Lang ne le savait pas encore, mais il réalisera bientôt, comme nous, que rien ne semble régulier ou normal dans la vie de notre ancêtre. À chaque tournant, nous rencontrons de nouvelles interrogations, des situations plus complexes que les précédentes. Philip est aussi difficile à saisir qu’un savon dans l’eau…

Mgr Lang trouvera dans le livre du Père Thomas Albert une mention quant à ce « vol de sac de malle ». Là non plus il n’a pas caché sa grande joie : Philip avait bel et bien existé! Il n’y avait plus à en douter. Ce livre a vraiment été la bougie d’allumage de la recherche de Mgr Lang.

5. Mgr Lang : un documentariste infatigable!

Tout en racontant un récit personnel de la vie de Philip, Mgr Lang ne perd pas de vue la recherche de documents. Voici comment il débute le 2e chapitre de son livre.

« Sans doute, c’est déjà une joie véritable que de pouvoir raconter un événement historique remarquable transmis par la tradition orale, surtout s’il s’agit d’un exploit accompli par un ancêtre valeureux, mais combien plus agréable encore de faire le récit de ce même événement, s’il est corroboré par un document écrit datant d’un siècle ou deux. Alors, quelle valeur accrue cela lui donne et quelle émotion on éprouve à déchiffrer ce vieux parchemin, jauni avec le temps ».

En 1923, après son ordination sacerdotale, Mgr Lang est nommé vicaire de Mgr Dugal, curé de Saint-Basile. C’est là qu’il va découvrir le pot aux roses.

« Dans les dits anciens registres paroissiaux, à mon grand étonnement et à mon grand enchantement, je découvris les enregistrements de naissance de plusieurs des enfants de la famille de Philip Long et de Marie-Julie Couillard-Després, vivant alors au Lac Témiscouata, et faisant baptiser leurs enfants à Saint-Basile, seule paroisse en existence dans la région ».

Mgr Lang fera de nombreuses autres découvertes par la suite, des découvertes qui le conduiront à se poser d’autres interrogations quant aux origines de Philip.

Ses recherches ne donnaient pas toujours les fruits escomptés.

« Nous revenions donc chez nous avec les seuls documents puisés au bureau d’enrégistrement de Rivière-du-Loup. C’était peu, c’était même décevant. C’était tout de même, un petit quelque chose ».

Certes, entre 1922 et 1974, il a fait la découverte de nombreux documents que nous consultons encore de nos jours. Mais, en 1974, un dénommé Georges Sirois va le mettre au courant d’un dossier militaire aux Archives d’Ottawa, un événement qui va changer le cours de sa recherche à tout jamais.

Ce dossier comporte plusieurs fiches que nous connaissons tous. Mgr Lang a réalisé pour de bon que Philip était un militaire, un Loyaliste et qu’il pouvait obtenir des documents écrits de la main de Philip. Peu après, il met la main sur des feuilles d’appel (muster rolls) du King’s American Regiment (muster rolls). Son univers de recherche vient de prendre un autre tournant. Il s’intéressait jusque-là à Philip, père de famille. Maintenant, il doit va s'intéresser à Philip, soldat Loyaliste.

Cette découverte continue d’avoir un impact de nos jours. À cette époque, le dossier militaire d’un soldat comportait plus d’information que son dossier civil, surtout s’il ne s’était pas marié.

NOTE. Il est raisonnable de croire que Mgr Lang était conscient que ses découvertes provoqueraient des remous dans sa famille et dans sa communauté. Cependant, et même s’il ajoutait un volet de fiction à ses écrits, il a démontré qu’il était animé avant tout par la recherche de la vérité. J’ose croire que tout au long du 19e siècle tous les habitants de Clair savait que Philip avait combattu dans un régiment Loyaliste. Il faut dire que, à cette époque et selon les recensements de Deane & Kavanaugh, les habitants de Clair étaient d’origines diverses : Acadienne, Québécoise, Écossaise, Irlandaise, Américaine. Il est probable que le fait des origines américaines, par exemple, ne causait aucun souci.

6. La « Fortune des Long/Lang »

Nous avons tous eu vent de cette histoire mirobolante concernant ladite Fortune des Long/Lang. Mais, bien peu d’entre nous savent que Mgr Lang n’a rien ménagé pour qualifier cette légende d'arnaque. Voici comment il décrit cette légende :

1.  Ladite fortune comprenait une immense propriété terrienne, soit, selon les plus enthousiastes promoteurs de la cause, tout le territoire de la célèbre Seigneurie du Lac Témiscouata (soit six milles de profondeur sur tout le pourtour du lac.

2. Et en plus, selon les extrémistes, il était supposé y avoir une réserve d’argent de plusieurs millions de dollars déposés dans les grandes banques d’Angleterre, attendant les réclamations des descendants héritiers du héros en question : Philip Long.

C’est suite à une rencontre au bureau des Archives de Québec avec l’archiviste Pierre-Georges Roy que Mgr Lang a compris qu’il s’agissait d’une arnaque. M. Roy s’est adressé à Mgr Lang dans ces termes :

« Des légendes de cette sorte, il y en a dans un grand nombre de familles, et des gens se sont ruiné à chercher des fortunes inexistantes ».

Décidément, notre famille regorge des légendes de toutes sortes. Je suis prudent lorsqu’on prétend que l’histoire orale de ma famille stipule que….

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Mgr Lang ne manquait pas de cran. Vraiment, il n’était pas piqué des vers. Il ne se gênait pas pour prendre des risques de toutes sortes et y mettre les efforts voulus. 

J’ajoute qu’il n’était pas assis devant un ordinateur pour faire sa recherche: il se rendait sur place pour consulter des documents et rencontrer des personnes qui, plus souvent qu’autrement, le mettaient dans ses p’tits souliers.

7. Conclusion

Je ne vous ai fait part que de quelques détails du livre de Mgr Lang, en espérant que vous le lisiez d’un couvert à l’autre. Lorsqu’on le consulte souvent, on réalise l’ampleur et l’importance de son travail de généalogie.

Il était animé par la recherche de la vérité. Il n’a jamais été préoccupé par la réaction que son livre provoquerait. Il ne se doutait pas non plus que son œuvre allait continuer, lorsqu’il a généreusement donné toute sa documentation à mon frère Ghislain.

Il est surprenant de lire qu’il a terminé son livre en posant la question suivante :

« Y aurait-il d’autres informations aux archives au sujet de Philip Long, concernant sa provenance, son âge et sa parenté ? ».

Pour ma part, je n’ai que deux mots à lui dire :

Merci Ernest!
Référence
Lang, Mgr Ernest. L’Héritage des Lang/Long. Recit biographique, généalogique et historique de John Philip Long (1757-1832). (aucune date de publication n’est indiquée, mais je crois qu’il a terminé son livre en 1976).

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